dimanche 28 février 2016

Oui, cher cormier, résiste à la tyrannie de la vitesse

Le cormier, bel arbre qui exige des centaines d’années d’existence avant d’être mûr en sa splendeur avait, jadis, ceci de particulier : il était commun. D’où ce nom que les botanistes lui ont accordé pour le désigner : sorbier domestique pour le distinguer de celui des oiseleurs.

Cormier de Saint-Aubin-du-Cormier au pied du donjon fendu


Comme tout bon domestique, il se plia aux nécessités des hommes et de leur économie rurale. Poussant sur toutes sortes de sols, pauvres ou riches, accidentés ou plats, par monts et plaines, il fréquentait les haies avec honneur, mais pouvait aussi s’en extraire et piqueter de ses charmes les prairies où paissaient vaches et brebis. Pourtant il n’aimait pas être brusqué, ses graines rétives à la rapide germination avaient leurs propres caprices – elles ne se soumirent jamais à l’hybridation ; sa croissance continue était lente, lente, lente... à énerver les hommes pressés – la nonchalance, c’est bien connu, les insupporte.

Avant qu’ils le furent, ils savaient goûter à ses fruits, les cormes, aux saveurs exigeantes ; où au sucré se mêle l’amertume avec une pointe acidulée. Celles-ci devenaient confitures (mon essai fut désastreux), eaux-de-vie, piquettes de corme. Elles se transformaient en médicaments pour ses vertus laxatives (là, j’y réussis !). Mais lorsque l’homme se décidait à sacrifier l’arbre, il en extrayait un bois merveilleux, particulièrement dense et homogène. Il l’utilisa donc pour façonner des outils à la rigidité requise : toises, trusquins, tampons encreur, règles, etc. ; il fut fort prisé en marqueterie. Mais vif, ses frondaisons étaient accueillantes, lors des beaux jours, à la sieste du journalier ou du glaneur ; aux repos plus mouvementés d’une rencontre provoquée par les appas de son ombre. La vie était dure, mais goûteuse et ses prémices pouvaient être charmantes.

Cormes bientôt mûres


Hélas, ses vertus lui furent presque fatales lorsque la tyrannie de la vitesse s’empara des hommes. Il fallut pour produire plus, en masse, à coup d’engrais et de pesticides, éradiquer les haies, combler les ornières, raser tout ce qui dépassait et n’était pas immédiatement utile à être consommé, englouti, bouffé, goinfré ; écarter l’amer. Il fallut construire des tubes d’asphalte et de rails, des tarmacs, pour transporter rapidement les marchandises et les hommes, les faire s’agiter en tout sens pour revenir toujours au même endroit : nulle part. Ce chambardement appelé croissance fut, par la complicité de la langue et son bois tendre, nommé remembrement là où l’on démembrait, aménagement du territoire lorsqu’on le déménageait.

Le cormier, arbre si commun, est devenu rare ; sorbier domestique, il est dès lors étrange, presque follement sauvage. Parce qu’il faudrait avoir quelque folie pour en planter un en sachant que ses fruits ne seraient savourés – si d’aventure extraordinaire, il n’avait pas été arraché avant – que par ceux qui marcheront sur nos sépultures dans un ou deux siècles. Folie si vivante hier, pourtant.

À Saint-Aubin-du-Cormier, il en est un de plus de deux cent cinquante ans d’âge. Dressé au pied du donjon fendu. Est-ce cette ruine qui le protège ?

Il résiste encore.