Le
cormier, bel arbre qui exige des centaines d’années d’existence
avant d’être mûr en sa splendeur avait, jadis, ceci de
particulier : il était commun. D’où ce nom que les
botanistes lui ont accordé pour le désigner : sorbier
domestique pour le distinguer de celui des oiseleurs.
Cormier de Saint-Aubin-du-Cormier au pied du donjon fendu |
Comme
tout bon domestique, il se plia aux nécessités des hommes et de
leur économie rurale. Poussant sur toutes sortes de sols, pauvres ou
riches, accidentés ou plats, par monts et plaines, il fréquentait
les haies avec honneur, mais pouvait aussi s’en extraire et
piqueter de ses charmes les prairies où paissaient vaches et brebis.
Pourtant il n’aimait pas être brusqué, ses graines rétives à la
rapide germination avaient leurs propres caprices – elles ne se
soumirent jamais à l’hybridation ; sa croissance continue
était lente, lente, lente... à énerver les hommes pressés – la
nonchalance, c’est bien connu, les insupporte.
Avant
qu’ils le furent, ils savaient goûter à ses fruits, les cormes,
aux saveurs exigeantes ; où au sucré se mêle l’amertume
avec une pointe acidulée. Celles-ci devenaient confitures (mon
essai fut désastreux), eaux-de-vie, piquettes de corme. Elles se
transformaient en médicaments pour ses vertus laxatives (là, j’y
réussis !). Mais lorsque l’homme se décidait à sacrifier
l’arbre, il en extrayait un bois merveilleux, particulièrement
dense et homogène. Il l’utilisa donc pour façonner des outils à
la rigidité requise : toises, trusquins, tampons encreur,
règles, etc. ; il fut fort prisé en marqueterie. Mais vif, ses
frondaisons étaient accueillantes, lors des beaux jours, à la
sieste du journalier ou du glaneur ; aux repos plus mouvementés
d’une rencontre provoquée par les appas de son ombre. La vie était
dure, mais goûteuse et ses prémices pouvaient être charmantes.
Cormes bientôt mûres |
Hélas,
ses vertus lui furent presque fatales lorsque la tyrannie de la
vitesse s’empara des hommes. Il fallut pour produire plus, en
masse, à coup d’engrais et de pesticides, éradiquer les haies,
combler les ornières, raser tout ce qui dépassait et n’était pas
immédiatement utile à être consommé, englouti, bouffé, goinfré ;
écarter l’amer. Il fallut construire des tubes d’asphalte et de
rails, des tarmacs, pour transporter rapidement les marchandises et
les hommes, les faire s’agiter en tout sens pour revenir toujours
au même endroit : nulle part. Ce chambardement appelé
croissance fut, par la complicité de la langue et son bois tendre,
nommé remembrement là où l’on démembrait, aménagement du
territoire lorsqu’on le déménageait.
Le
cormier, arbre si commun, est devenu rare ; sorbier domestique,
il est dès lors étrange, presque follement sauvage. Parce qu’il
faudrait avoir quelque folie pour en planter un en sachant que ses
fruits ne seraient savourés – si d’aventure extraordinaire, il
n’avait pas été arraché avant – que par ceux qui marcheront
sur nos sépultures dans un ou deux siècles. Folie si vivante hier,
pourtant.
À
Saint-Aubin-du-Cormier, il en est un de plus de deux cent cinquante
ans d’âge. Dressé au pied du donjon fendu. Est-ce cette ruine qui
le protège ?
Il
résiste encore.